A cette heure-là il faisait encore nuit, grand dieu j’adorais ce moment-là, s’était féerique ! C’est en chef d’orchestre que mon père donnait des consignes à tout le monde, puis les choses sérieuses commençaient. Bien entendu, pas pour le cochon qui était effrayé, savait ce qui l’attendait rien qu’en entendant crier les autres cochons du voisinage.
Tel un danseur de « Gwo Ka », mon père rentrait en piste, non pas avec un tambour à la main, mais avec le grand couteau qu’il avait soigneusement aiguisé la veille. Chacun savait ce qu’il avait à faire : quatre à cinq personnes étaient nécessaire pour maintenir le cochon au sol, pendant que mon père tentait de l’égorger.
Le cochon se débattait en hurlant de toutes ses forces, pendant ce temps-là ma mère récupérait le sang comme elle pouvait à l’aide d’un récipient, dans lequel elle avait mis du sel, du vinaigre et de l’eau qu’elle remuait sans cesse pour que le sang ne coagule pas.
Une fois la bête abattue ma mère s’activait à la cuisine avec ma sœur aînée pour préparer le fameux « boudin créole ». Mon père quant à lui découpait le cochon en morceaux, il n’était pas boucher « ni d’oreille ni de métier », comme beaucoup d’antillais, il connaissait chaque partie du cochon.
Mon frère Fabrice et moi-même trop jeune à l’époque pour aider à quoi que ce soit, nous faisions gonfler la vessie quand s’était un « mal » en guise de ballon. Mes parents remerciaient tous ceux qui étaient venus donner un coup de main avec quelques kilos de viande et du boudin, de quoi leur permettre de passer un bon noël. Le reste de la viande était mis en baril avec du gros sel.
Certaines années quand nous n’avions pas de cochon à tuer, mon père achetait un jambon, une fois dessalé ma mère découpait de fines tranches qu’elle saupoudrait de sucre de canne, avant de les glacer de chaque côté avec le fer à repasser « petit nègre » qu’elle faisait chauffer préalablement, un vrai régal !
Le soir de noël mes frères et moi chantions des cantiques tard dans la nuit, les barils en plastique servaient de tambours, les bouteilles de triangle et de cymbale. Nous tapions à l’aide de baguettes sur une vieille table en bois en guise de ti bois le tout arrosé de Punch coco et soda pays. Les parents toléraient un petit verre ou deux ce jour-là. Les plus âgés allaient à la messe de minuit et fêtaient noël après.